CE QUI ARRIVERA DE CE QUI PEUT ARRIVER
Il y a de cela un trimestre seulement, nous parlions de 2018 comme d’une année où le calme relatif sur les marchés serait appelé à changer. Il n’a fallu que peu de temps pour que l’administration Trump et autres acteurs géopolitiques ne secouent les prix en bourse par des gestes autant planifiés qu’impulsifs. Valsant entre refonte fiscale, guerres tarifaires sur le commerce, programmes d’infrastructures, conflits armés et bénéfices corporatifs, la bourse américaine a subi depuis janvier trois fois plus de mouvements quotidiens supérieurs à 1 % que dans toute l’année 2017! Difficile de conclure sur les impacts à long terme de toutes ces préoccupations qui font les manchettes, alors que tant de scénarios semblent envisageables. Il faut néanmoins trouver un sens à toutes ces nouvelles et prendre des décisions alors que les prix changent continuellement. Telle est la réalité des investissements boursiers. Les fluctuations des derniers mois nous ont amenés à altérer certaines cibles de pondérations sectorielles, mais elles n’ont rien changé à nos convictions sur les allocations d’actif, de devise ou de géographie.
La réforme fiscale américaine entrait en vigueur dès le 1er janvier 2018. Les entreprises en sont ressorties grandes gagnantes. L’aspect permanent de la réduction du taux d’imposition corporatif de 35 % à 21 % contribuera donc au niveau des profits nets des entreprises pour des années à venir. L’acceptation de cette réforme était certainement derrière la hausse des marchés mondiaux en début d’année. Dépendamment de nos mandats, les bonnes performances ont permis certaines ventes de secteurs, notamment les métaux de base qui étaient surpondérés dans nos portefeuilles, et également la technologie, secteur où les prix ne sont plus aussi bon marché. Certains achats ont plus tard été possibles dans l’énergie et les infrastructures à la suite de la venue des rhétoriques protectionnistes et des guerres commerciales impliquant les États-Unis. Aux allures de guerres d’égo, ces stratégies risquent d’avoir un certain impact sur l’économie, mais impossible de savoir jusqu’où elles iront. Souvent que de passage, les risques géopolitiques ne compromettent pas la viabilité des actions dans un portefeuille à long terme. Conserver ses placements boursiers à travers la volatilité demeure donc l’approche à privilégier.
De retour à la réforme fiscale, c’est dans le budget fédéral que la contrepartie négative de celle-ci se fera sentir. Le déficit fiscal américain est en effet prévu pour atteindre mille milliards de dollars en 2019, une année d’expansion économique encore attendue. À plus ou moins 4 % du PIB, et ce pour quelques années à venir, il est difficile d’imaginer que ce déficit n’influencera pas à la baisse leur devise à moyen terme. C’est du moins ce qui ressort de nos analyses historiques lorsqu’on compare le dollar américain à un ensemble d’autres monnaies mondiales. Il est possible que cela favorise le dollar canadien, car même si ce dernier fluctue souvent selon les taux d’intérêt entre nos deux pays et selon le prix du pétrole, le déficit fédéral canadien reste plus en contrôle à approximativement 1 % du PIB. Ces faits devraient être bons pour nos positions en ressources naturelles de toutes sortes, normalement favorisées lorsque le dollar américain est en baisse, de même que pour notre stratégie de couverture sur la majorité de nos positions étrangères.
Puisqu’il est question du Canada, les rendements de notre bourse ont été très modestes, autant au cours des douze derniers mois que dans les dix dernières années. Extrapoler ces résultats dans l’avenir serait cependant aisé et trop pessimiste. Les performances du S&PTSX sous les normales ont amené le ratio cours-bénéfices anticipé de l’indice canadien à 14, en-dessous de sa moyenne historique de 16. En comparaison, le marché américain affiche un ratio anticipé de 20, pour une moyenne également de 16 à long terme. La migration graduelle des portefeuilles majoritairement canadiens vers une allocation plus mondiale a de ce fait été très modeste récemment. Historiquement, des performances passées sous les normales et des multiples financiers plus faibles constituent les bases pour des rendements futurs supérieurs. Nos attentes envers les rendements à venir de l’indice boursier canadien devraient ainsi être au-dessus de ses moyennes et de celles des autres marchés mondiaux. L’allocation géographique actuelle est satisfaisante et changera davantage lorsque les performances relatives des différents marchés mondiaux seront plus équilibrées.
Il y a donc devant nous plusieurs scénarios plausibles. Qui pourrait prétendre connaître avec certitude le contexte de marché qui prévaudra le trimestre prochain, alors que l’étendue des évènements possibles n’est même pas connue? Le prédire ainsi ne serait que pure spéculation. Les scénarios potentiels seront toujours beaucoup plus nombreux que ceux qui finiront par devenir réalité. Au final, beaucoup d’éventualités resteront théoriques. Voilà ce qui arrivera de ce qui peut arriver. Pour bien faire à long terme, l’investisseur doit accepter ce fait et maintenir une stratégie orientée vers les grandes tendances plutôt que réactive à chaque nouvelle information, voire distraction. Notre stratégie sectorielle demeure toujours aussi bien adaptée à ce contexte des marchés.
Christian Richard
Gestionnaire de portefeuille